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L’art du diagnostic en Ethnomédecine Chinoise

L’art du diagnostic en Ethnomédecine Chinoise

Si l’on en croit la loi française, seul un médecin diplômé de nos facultés est habilité à établir un diagnostic. Si cette loi est fondée en ce qui concerne le diagnostic de médecine occidentale, que seul un médecin conventionnel est naturellement capable d’établir, elle devient quelque peu ridicule lorsqu’elle prétend s’appliquer aux médecines traditionnelles millénaires, reposant sur des critères épistémologiques totalement étrangers à la science occidentale.

Au sens large, poser un diagnostic consiste à analyser, comprendre et expliquer un problème donné. Qu’il s’agisse d’un problème de plomberie, de mécanique, de jardinage ou de médecine, la procédure est sensiblement la même : relever des signes et des indices, en déduire une signification, établir une conclusion. Tout spécialiste d’un domaine donné doit pouvoir fournir un diagnostic. Et selon la spécialité, la nature du diagnostic change. À l’intérieur de la médecine occidentale elle-même, le diagnostic d’un généticien ne se posera pas de la même façon ni dans les mêmes termes que celui d’un anatomo-pathologiste, qui n’aura lui-même pas de lien évident avec le diagnostic que pose un médecin généraliste clinicien, encore moins un psychologue, etc.

Le diagnostic est la pierre angulaire de toute médecine. À l’exception notable des situations d’urgences, il fait pourtant régulièrement défaut, réduit le plus souvent au constat des chiffres fournis par les analyses sans explication de leurs causes, ou à la formulation d’un « syndrome de Duschmoll », célèbre médecin qui fut le premier à nommer ainsi cet ensemble de symptômes dont on ne sait toujours pas pourquoi ils sont apparus. Peu de médecins sont en réalité capables d’expliquer de façon claire et simple à leurs patients la cause et la nature de leur maladie. Est-il normal que le diagnostic de la pathologie humaine ne puisse se poser qu’en des termes incompréhensibles pour le commun des mortels ? L’être humain n’est pas nécessairement si compliqué qu’on veut bien le dire, ou parfois le faire croire. C’est avant tout le regard que l’on décide de porter sur lui, le prisme au travers duquel on choisit de l’analyser, qui peuvent être plus ou moins complexes. Selon que l’on voit en notre prochain un amas de molécules ou un paysage miniature, un esprit incarné ou une mécanique de précision, le diagnostic change. Aucun n’est faux, tous sont une parcelle de vérité. Mais il en est certaines de plus humainement compréhensibles que d’autres.

Le diagnostic médical de la médecine moderne dépend de la modernité de ses instruments. Des instruments scientifiques, donc exacts à ses yeux. Tant pis si, dans certains cas, le patient n’a pas toujours les symptômes correspondant à ce que disent ses examens : c’est bien là la preuve de son ignorance, dirait Knock.

Un ethnomédecin n’a recours, pour poser son diagnostic, qu’à ses propres sens et son propre bon sens. Si de grandes médecines comme la médecine chinoise, tibétaine ou ayurvédique ont pu traverser les siècles, c’est parce qu’elles sont naturalistes, comme l’était la médecine d’Hippocrate, et qu’elles n’ont jamais eu besoin d’autre chose que des ressources combinées de l’homme et de la nature pour diagnostiquer et soigner les maladies. Du moins, tant que ces maladies elles-mêmes restent « naturelles ». Car il est vrai qu’à mesure où l’homme dénature son environnement de vie, créant de nouvelles maladies « atypiques », les médecines traditionnelles s’avèrent de moins en moins aptes à rétablir son équilibre. Alors que je lui demandais si sa médecine pouvait quelque chose contre le diabète qui ravage les réserves amérindiennes, Gilbert White Dirt, homme-médecine Cheyenne, me fit cette réponse étonnante mais juste : « Non, car le diabète n’existe chez nous que depuis que nous avons adopté le mode de vie des blancs. Et pour les maladies des blancs, nous avons besoin de la médecine des blancs »…

Les médecines traditionnelles sont là pour nous rappeler que plus nous nous éloignons d’une forme de vie simple et naturelle, plus nous complexifions et aggravons nos maladies, et moins les médecines elles-mêmes respectueuses de la nature réussissent à nous soigner. Tout au plus pourront-elles nous rappeler nos racines, avant que nous ne finissions déracinés.

Le « tableau clinique », médical ou artistique

Revenons-en au diagnostic, qui dans la médecine traditionnelle chinoise se trouve associé à une vision de l’homme très différente de celle de notre médecine scientifique. Un ancien traité de cette médecine, le Nei Jing, l’exprime ainsi :

"Chaque individu constitue un paysage particulier, et le médecin le regarde comme un peintre regarde sa toile. Le teint du visage, l'expression des émotions, les manifestations de douleur, l'aspect du pouls, expriment la nature propre à chacun, ils constituent l'essence du paysage humain. Lorsque l'on est en bonne santé, le paysage est beau. Lorsque l'on est malade, la peinture est laide."

La médecine chinoise s'appuie exclusivement sur les qualités sensorielles et humaines du praticien. C'est à lui que revient la responsabilité de l'examen du patient, au moyen de procédés naturels tels que l'observation, l'auscultation, l'interrogatoire détaillé ou la palpation du corps et des pouls. La médecine chinoise enseigne que « ce qui se passe au-dedans se manifeste au-dehors » : si c’est une pomme qui apparaît sur l’arbre, il est inutile de faire des prélèvements dans le tronc pour s’assurer qu’il s’agit bien d’un pommier. Et si plusieurs pommes sont malades, sans doute est-ce le pommier qu’il convient de traiter en priorité. Le principe est simple, mais nous avons perdu de vue cette simplicité. La médecine chinoise nous réapprend à regarder l'être humain plutôt qu’à nous focaliser, au moyen d'instruments toujours plus sophistiqués, sur les seuls paramètres de sa maladie.

Parce que les deux médecines ne regardent pas la maladie du même œil ni sous le même angle, elles ne posent pas le diagnostic dans les mêmes termes. Le Dr Leung Kok Yuen illustre ce fait par l’anecdote suivante :

« Imaginez qu’en rentrant de vacances, vous trouviez à l’intérieur de votre maison des champignons sur les murs. Vous pouvez avoir deux réflexes possibles :
- Vous pouvez vous demander : « Quelle est cette espèce de champignon ? » Puis faire des prélèvements, recenser leur nombre, mesurer leur taille, et enfin les éliminer en pulvérisant un produit toxique dans la pièce.
- Mais vous pouvez aussi vous dire : « Il fait froid et humide, ici ! » Puis ouvrir les volets et les fenêtres, et remettre le chauffage en route pour permettre à l’air, à la lumière et à la chaleur de rétablir un microclimat normal à l’intérieur de la maison, afin que les champignons disparaissent d’eux-mêmes. »

C’est ainsi, par exemple, qu’un diagnostic de « salmonellose » en médecine moderne peut tout aussi bien être baptisé « chaleur et humidité dans le gros intestin » en médecine chinoise, et que cette médecine peut proposer un traitement efficace de cette maladie sans avoir besoin de recourir au microscope et aux analyses.

La même logique s’applique à de nombreuses pathologies : là où la médecine moderne se focalise sur les seuls agents pathogènes, la médecine chinoise s’attache prioritairement au climat et à la résistance interne de l’organisme. Ainsi, si elle ne peut pas dire avec précision où se situe une tumeur et quelle est sa taille, elle a par contre une idée de ce qui peut la faire naître, et pourrait permettre de la faire régresser. Ce qui est, à n’en point douter, une dimension essentielle du diagnostic. À l’heure où l’on ne s’intéresse plus seulement au cancer, mais aussi à la cancérogenèse, une telle approche mériterait un peu plus de considération de la part de nos chercheurs, et il n’est pas incongru de souhaiter que ces deux visions, qui ont toutes deux leur justesse et leur utilité, cohabitent un jour dans notre système de santé.

Une vision élargie

Le diagnostic en médecine chinoise est l’aboutissement d’une enquête qui demande des capacités sensorielles affûtées, associées à une bonne logique déductive. L’une des difficultés de cet examen est d’être attentif au patient à la fois sur le plan physique (Jing), physiologique (Qi) et psychologique (Shen), afin de savoir relier les parties au tout. Car, comme le souligne le Nei Jing, tout compte :

"Le médecin doit être au fait des affaires humaines pour éclairer les antécédents. La condition sociale, la situation financière, la complexion individuelle, l'âge, la force d'âme doivent être recherchés en détail pour reconnaître l'origine de la maladie.(...) Quand on fait l'examen habituel de Jing, Qi et Shen, on doit s'informer de la condition sociale, de la perte éventuelle d'une dignité, d'un désir d'anoblissement. La perte d'une haute situation, sans nulle intervention des Xie (agents pathogènes), fait sécher la peau, rétracter les muscles et cause des parésies et contractures des jambes. Quand le médecin n'a pas assez d'autorité pour détourner l'esprit du malade, l'extérieur du corps devient faible et mou, le désordre devient une altération définitive, la maladie s'immobilise et toute la médecine devient impuissante. (...) La séparation d'un être aimé provoque un marasme qui se cristallise. La tristesse, la crainte, la joie et la colère vident les cinq organes, l’énergie et le sang perdent contenance. De quelle qualité est l'art du médecin qui ignore cela ?"

La suite de cet ouvrage canonique décrit comment le déclassement social ou la perte de biens matériels peuvent générer des maladies appelées Tuo Ying (échappement de la nutrition) ou Shi Jing (perte de l'essence), évoquant certaines formes de maladies dégénératives comme la maladie de Hodgkin ou la sclérose en plaques. Et l'Empereur de conclure que "le médecin qui n'a rien compris du début, ne peut que dire le jour du décès". Au vu des progrès obtenus dans ces domaines depuis qu'a été écrit le Nei Jing (300 avant J-C), on se prend à rêver que notre médecine, se détournant un moment de ses Téléthons commisératifs destinés à nourrir une recherche unidirectionnelle, se décide un jour à imiter cet étudiant du Cercle des Poètes Disparus, et monte sur une table – ou une pile d'ouvrages médicaux qui lui sont étrangers – pour regarder enfin les choses de plus haut.

Pour poser ses diagnostics, la médecine traditionnelle chinoise requiert une vision englobante, que la tradition décrit comme celle d’un aigle survolant un paysage tout en étant capable d’en discerner les détails, plutôt qu’une vision de taupe, les yeux vissés sur l’infiniment petit au moyen d’appareils grossissants ou explorant les profondeurs. Mais attention ! Le fervent lecteur de La Hulotte (le journal le plus lu dans les terriers, pub gratuite) que je suis peut vous assurer que la taupe est un animal infiniment respectable et utile ! Certaines spécialités médicales comme l’ophtalmologie, l’odontologie ou encore la chirurgie sous toutes ses formes, n’ont pu faire de progrès spectaculaires que grâce à cette avancée combinée de la technologie et de l’observation de l’infiniment petit. Face aux situations d’urgence, aux pathologies lourdes ou immédiates, l’intervention médicale ciblée a évidemment toute sa place et son rôle à jouer. Il n’est donc pas question de dénigrer l’approche analytique et scientifique occidentale, qui est juste et nécessaire dans le monde d’aujourd’hui, mais de rappeler simplement qu’elle n’est pas la seule, loin s’en faut. Notamment en ce qui concerne la médecine dite générale, qui comme son nom l’indique, se devrait de savoir regarder les choses dans leur globalité.

« Pour comprendre la vie, me dit un jour le Dr Yang, chef du service de médecine interne de l’hôpital de Chengdu, vous avez le choix entre vous enfermer dans un laboratoire et regarder dans un microscope, ou sortir au-dehors et écarquiller les yeux. » Les deux visions se complètent, et devraient cohabiter. Ce qui ne veut pas dire qu’elles doivent n’en faire qu’une, car n’en déplaise à ceux qui rêvent d’un médecine mélangeant allègrement les deux systèmes -et donc les deux visions-, regarder le monde avec un œil sur le télescope et l’autre sur le microscope a pour unique effet de donner la migraine.

Un langage familier

Une fois la lecture du patient faite au moyen des quatre temps de l’examen, il reste encore à synthétiser l’ensemble des indices relevés pour élaborer un tableau clinique en termes codifiés de médecine chinoise (Cf. infra). L’étape suivante consistera pour l’ethnomédecin à expliquer à son patient ce qu’il a compris de sa maladie, afin que ce dernier puisse participer en conscience à son propre traitement, et par-delà, à son propre processus de guérison.

Il est étonnant de constater avec quelle facilité les patients, pourtant ignorants de ce qu’est la médecine chinoise, comprennent les explications qu’on leur donne, pour peu que l’on utilise des termes simples et imagés, et qu’on ne leur parle pas « chinois ». Si ce diagnostic quelque peu exotique, paradoxalement, leur parle, c’est parce qu’il a été saisi avec les sens ordinaires plutôt qu’avec des instruments dont seul un technicien connaît le langage. C’est aussi parce qu’il s’exprime couramment par analogie avec des phénomènes naturels, langage que chacun peut comprendre intuitivement. A contrario, on pourrait se demander si l’explication d’une maladie dans le langage de la biologie moléculaire ou du génie génétique, ce n’est pas cela qui, pour la majorité d’entre nous, ressemble le plus à du chinois…

Est-il au final instrument plus sophistiqué et moins couteux que l’être humain lui-même pour poser le diagnostic de la pathologie humaine ? N’est-ce pas au départ, et dans toutes les médecines, l’apanage du bon médecin que de savoir lire la santé ou déceler la maladie dans la multitude des signaux émis par le patient ? Quel médecin d’aujourd’hui prend encore la peine d’observer le teint de ses patients ou de leur fait tirer la langue ? Et pour y rechercher quoi ? Une anémie ? Une candidose ? De toute façon, les examens font ça tellement mieux…

Une pratique à dimension humaine

Il y a un air de famille certain entre la médecine traditionnelle chinoise et celle que pratiquaient nos médecins de famille d’antan. Ces cliniciens d’expérience, capables de trouver la nature de votre problème sans vous passer systématiquement par toute une batterie d’examens et de vous dégoter un remède efficace pour trois francs six sous, n’ont plus qu’un lointain rapport avec les praticiens d’aujourd’hui qui, par crainte d’un procès à l’américaine, auraient plutôt le réflexe de vous prescrire un combiné radio-scanner-IRM à la première migraine venue, « au cas où ».

De toute évidence, la médecine traditionnelle chinoise comme celle de grand-papa ont quelque chose de désuet par rapport à la médecine high-tech d’aujourd’hui, qui tend à diagnostiquer et traiter le corps humain comme l’industrie automobile de pointe traite ses véhicules de série : passage au banc électronique, entretiens standards, changement des pièces et facture envoyée au conducteur… Nous voyons bien le futur se profiler : après les bornes dans les administrations, les banques, les gares et les aéroports, ce sont des bornes médicales qui commencent à fleurir dans les pharmacies et les centres de soins, mais aussi les grandes surfaces, avec prise automatique et instantanée de la tension, de la température, de la composition sanguine, du rythme cardiaque, du litrage d’air, des réactions nerveuses et allergiques, bref, de ces examens standards qui n’étaient déjà plus que le triste apanage du médecin généraliste d’aujourd’hui. Au clou, le sthéto. Au garage, le médecin de famille. Et en sursis, le chirurgien, en attendant que le robot soit au point. Faut-il s’en réjouir ou s’en inquiéter ? En ce qui concerne la médecine moderne, une telle évolution semble inéluctable, mais compréhensible, si elle peut permettre au plus grand nombre d’avoir demain accès à un minimum d’informations médicales face à une pénurie de médecins généralistes. En même temps, c’est bien cette même évolution qui sonne le glas des médecins traditionnels, en précipitant leur disparition au lieu de chercher à les revaloriser.

La place de l’humain dans la médecine, à mesure que celle-ci se technicise et s’industrialise, se réduit comme peau de chagrin. Savez-vous ce que désigne un « projet d’humanisation » pour un hôpital ? Augmenter le personnel soignant ? Demander au médecin de s’arrêter quelques secondes de plus au chevet du malade ? Perdu. C’est réduire le nombre de lits par chambre. Un peu comme on réduit le nombre de poules au mètre carré dans les élevages industriels. C’est ainsi que l’humanisation, et parfois même l’humanitaire, dans notre 21ème siècle surpeuplé, s’éloignent peu à peu et sans s’en rendre compte de l’humanisme.

Un diagnostic causal et multiforme

Mais revenons-en à la médecine chinoise et à son diagnostic. Celui-ci doit viser à reconnaître non seulement la maladie, mais également et si possible, à en trouver la cause.

La médecine traditionnelle chinoise recense neuf causes étiologiques de maladie : les facteurs climatiques (et tous les micro-organismes pathogènes qu’ils transportent ou génèrent, comme en témoigne plus haut l’exemple des champignons sur les murs), les facteurs psycho-affectifs, les agents épidémiques, les causes alimentaires et diététiques, les différentes formes de surmenage (physique, intellectuel, sexuel), les traumatismes, les parasites, les intoxications et les facteurs héréditaires. Ces causes peuvent s'imbriquer ou se superposer chez un même sujet, ou encore évoluer de l'une vers l'autre, ce qui ne simplifie pas le diagnostic et justifie, comme nous l’avons déjà dit, une approche globale de la maladie.

Chez nous, lorsqu’un patient promène sa céphalée de thérapeute en spécialiste, il a bien souvent affaire à un feu d’artifice d’explications, chacune limitée au champ ses connaissances de chacun, à savoir : l’état de la dentition pour un dentiste, celui des vertèbres pour un ostéopathe, la posture pour le podologue, l’état psychoaffectif pour le psychologue ou le psychothérapeute, l’alimentation pour le diététicien, la pression sanguine pour le médecin conventionnel, l’état nerveux pour le neurologue, l’état hormonal pour le gynécologue ou l’endocrinologue, etc. A moins d’être de ceux qui ont de la chance à la loterie, mieux vaut donc commencer par une approche médicale qui regarde l'homme de la façon la plus globale, en tenant compte de ses différentes dimensions, et d'ainsi poser un diagnostic qui ait des chances de déterminer dès le départ la cause la plus probable de sa maladie.

Une fois la cause de la maladie déterminée, il est en revanche possible, toujours en médecine chinoise, d'établir le diagnostic de différentes manières, c’est-à-dire exprimer le syndrome (ou tableau clinique) dans une logique particulière ; une logique qui se devra d'être la plus simple, la plus directe et la mieux adaptée au cas.

Prenons un exemple. Ce que la médecine occidentale nomme « stade initial du syndrome grippal » peut être diagnostiqué en médecine chinoise de différentes manières :

  • Si l’on se réfère aux principaux symptômes et à l’action thérapeutique à mener, on diagnostiquera une « plénitude de surface » (Biao Shi) ;
  • Si l’on considère le processus évolutif de cette maladie, on diagnostiquera plutôt une « maladie par atteinte de la première couche de défense du corps par le froid » (Tai Yang Bing) ;
  • Si l’on considère la nature de l’agent pathogène et l’organe atteint, on diagnostiquera une « atteinte de vent froid sur le Poumon » (Feng Han Fan Fei)

Ces différentes façons de poser le diagnostic sont toutes justes ; elles représentent simplement des angles de visions différents, selon que l’on décidera de s’attacher dans le traitement à la nature, la localisation ou l’évolution de la maladie.

Quoi qu’il en soit, la base de l’action, pour un praticien, est bien de commencer par poser un diagnostic, c’est-à-dire d’exprimer en termes clairs la situation dans laquelle l’organisme d’un malade se trouve, afin de définir un principe thérapeutique et un choix d’action de traitement. Trop de praticiens de médecine chinoise se limitent dans leur manière de poser leur diagnostic, par exemple en terme d’organes, ou d’éléments. Ce qui est au mieux simpliste, et au pire éloigné du problème réel.

Comprendre les pannes du véhicule humain

Si l’on fait un parallèle entre le corps humain et une automobile – tous deux étant des véhicules à leur manière –, on s’aperçoit que le médecin, comme tout bon garagiste, se doit de raisonner à plusieurs niveaux pour poser un diagnostic juste. En cas de panne comme de maladie, plusieurs options se présentent, nécessitant de poser ce que l’on nomme un diagnostic différentiel (Bian Zheng). Ainsi, dans une maladie donnée :

  • Si c’est une pièce du moteur qui est défectueuse ou mal réglée, le diagnostic se pose en termes d’organes (Zang Fu) ;
  • Si les organes du moteur sont en bon état, mais obstrués par des dépôts, le diagnostic se pose en termes de liquides pathologiques (Tan Yin) ;
  • Si le moteur a des problèmes de contact ou de démarrage à cause du froid ou de l’humidité, le diagnostic se pose en termes de climats (Liu Yin) ;
  • Si la panne est due à un problème d’essence, d’huile, de liquide de frein ou de charge d’énergie de la batterie, le diagnostic se pose en termes de fluides organiques (Qi Xue Jin Ye) ;
  • Si le problème concerne la carrosserie mais n’affecte pas les organes internes, comme dans la rhumatologie ou la traumatologie par exemple, le diagnostic se pose en termes de méridiens (Jing Luo) ;
  • Si le véhicule n’a pas de véritable panne mais souffre d’une mauvaise utilisation par son conducteur, ou encore si le problème n’existe que dans la tête du conducteur (qui croit entendre un bruit anormal alors que tout va bien), le diagnostic se pose en termes de conseils « de conduite personnelle » (Yang Sheng, Xin Li) ; etc.

Le diagnostic individuel, un vœu pieu ?

Il existe ainsi bien des manières d’exprimer le diagnostic, c’est-à-dire d’éclairer un problème pour lui trouver une solution. L’essentiel étant, en ethnomédecine chinoise, de poser le diagnostic non seulement par rapport à la maladie, mais également dans les termes les plus justes par rapport à sa cause, afin de pouvoir lui appliquer un traitement autre que symptomatique, et éviter que ce dernier ne génère à son tour d’autres dérèglements. Une logique qu’il n’est peut-être pas inutile de rappeler à l’heure où l’industrie pharmaceutique commence à s’intéresser de près à la pharmacopée chinoise : l’efficacité du traitement est directement liée à sa capacité à s’adapter à l’individu et à l’évolution de sa maladie. Pour cette médecine, c’est l’adéquation du traitement, et non sa puissance intrinsèque, qui fait toute son efficacité. Une logique qui ne cadre pas exactement avec un système basé sur la standardisation des examens, la classification des maladies selon des critères fixes de normalité et d’anormalité, et une systématisation des traitements conduisant à la mise au point des médicaments identiques pour tous, avec la cohorte d’effets secondaires, parfois dramatiques, que l’on sait : quelques 20 000 morts par an en France, sans parler des malades, selon le rapport du Comité de Pharmacovigilance.

L’ensemble de ces rélfexions doit nous faire poser une nouvelle fois la question : qui est au service de qui ? Pourquoi serait-ce toujours au patient d’apprendre le langage du médecin, de se plier aux protocoles et de s’adapter aux traitements ? Jusqu’où peut-on mécaniser le diagnostic et industrialiser le traitement d’individus dont il est pourtant facile de remarquer qu’aucun n’a le même visage ? À l’ère normative et standardisée où nous vivons, sont-ce seulement des questions à poser à l’homo modernicus, branché sur les pages de son horoscope collectif (ce comble du non-sens) et sa télévision à écran plat (ça ne s’invente pas) au contenu identique en dépit – ou à cause – du nombre de chaînes ? Quoi d’étonnant à ce que nos diagnostics et nos médicaments soient fabriqués de la sorte ?

Si toutes ces réflexions vous donnent légèrement mal à la tête, signe possible de votre appartenance à la branche susdite, il n’y a pas lieu de vous inquiéter : le Doliprane® est fait pour ça. Si en revanche vous souhaitez comprendre d’où vient ce mal, tout en évitant de passer par la longue liste des thérapeutes dont j’ai parlé plus haut, je ne puis que vous recommander de consulter un véritable ethnomédecin. Ou encore, si vous n’en trouvez aucun, d’apprendre cette médecine vous-même. Soyez-en certains, même si c’est un comble : ne serait-ce que grâce à la médecine elle-même, votre patientèle est assurée.

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